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Les vilains gnomes des rivages

ALAIN LAVOIE OU ALOHA · 5 AVRIL 2016

L’histoire maritime du monde regorge de contes et légendes mettant en scène des monstres incroyables, des sirènes, des vaisseaux fantômes, des îles flottantes ou mystérieuses, des hommes poissons et autres créatures plus invraisemblables les unes que les autres. Au Québec, l’histoire du fleuve St-Laurent, de ses îles et de ses cours d’eaux, qui furent les routes principales pendant plus de trois-cents ans n’y échappent pas. Notre folklore fut transmis par les conteurs, les voyageurs, à travers les légendes et les chansons au fil des ans. Dans tout le pays, les histoires de loups-garous, de diables et de chasse-galerie, ont su longtemps égayer les veillées, émerveiller et aussi terroriser les petits enfants, au temps où il n’y avait ni radio, ni télévision et encore moins d’internet ou de jeux vidéo.

L’ambiance d’un bateau au mouillage, loin du wifi et des facilités électriques, est bien sûr l’endroit idéal pour ranimer un peu cette vieille tradition orale, et ça tombe bien, car je suis passionné de ces contes et légendes. Mes lectures m’ont d’ailleurs permises d’en apprendre quelques unes. Alors montez à bord, fermez vos cellulaires et descendez dans le carré de mon bateau qui sent bon l’huile de teck, et installez-vous confortablement. J’ai bourré ma pipe, allumé la lampe à l’huile qui répand sa douce lumière, et j’ai mis la bouteille de rhum sur la table. Servez-vous, ne soyez pas timides! C’est de l’excellent Barbancourt parfumé d’Haïti et j’en ai plein la cale! Je vais vous raconter ces histoires, et non ces légendes, car ce sont des histoires vraies bien sûr, vraies comme chui là! N’ayez crainte, je vais rester assis près de la descente, et le p’tit suroit enverra la fumée de ma pipe dehors, vous ne serez donc pas incommodés.

Je vais donc vous conter l’histoire des méchants gnomes des rivages. Il y a longtemps que les légendes parlent de ces gnomes ou lutins malfaisants, qui hantent les côtes et firent damner les marins, les pêcheurs et les riverains. Transportons-nous d’abord sur le vieux continent, ou plusieurs de ces créatures ont été rapportées au fil des ans.

Voilà quelques années seulement, sur les plages du Finistère sud, sévissait celui qu’on appelait le «Yannic-an-Aod» ou Petit-Jean-du-Rivage. C’était un lutin très espiègle, qui passait son temps à terroriser les pauvres pêcheurs. Certains le nommaient aussi le «noyé-hurleur», pensant qu’il s’agissait-là de l’âme d’un pauvre noyé qui pleurait sa vie terrestre. Lorsque la nuit était noire, il se cachait parmi les rochers de la grève et poussait des cris de mort auxquels il ne fallait surtout pas répondre, sous peine d’être emporté et tué par la créature.

Il voyageait beaucoup et hantait également l’île d’Ouessant. Par nuits de vents forts et de tempête, il hurlait et criait derrière les portes des maisons : Donnez-moi du feu! Donnez-moi du feu! Malheur à celui qui par mégarde lui ouvrait! Il se faisait agripper, emmener et on ne le revoyait jamais. Dans le golf du Morbian, on lui donnait un autre nom, le «Bugul Noz» ou berger de nuit. Il poursuivait les promeneurs qui s’égaraient sur les plages, mais on disait aussi qu’il lui arrivait d’être plus gentil, et parfois, quand il était de bonne humeur, il lui arrivait apparemment d’avertir les riverains qu’une tempête approchait.

Bien que Petit-Jean-du-Rivage ait été bien connu et vu par plusieurs, le plus célèbre de tous les lutins bretons est sans conteste celui que l’on nommait Nicole. En 1823, Nicole hanta la baie de St-Malo pendant trois longs mois, durant lesquels il y créa un chaos incroyable. On le disait farceur et vilain embrouilleur. Il mangeait les appâts, déchirait les filets pour que les poissons s’en échappent et mélangeait les mouillages des bateaux. Il créa une telle commotion durant son passage, que sa réputation fit le tour du monde. On en parla jusqu’à Valparaiso, tout comme à Macao, et même, on en entendit parler dans quelques bars de Québec. Heureusement, un jour il disparut sans plus jamais laisser de trace.

Bien que Nicole soit le plus célèbre, le plus malfaisant et diabolique de tous fut sans doute le nain rouge, ou plutôt le petit homme rouge, comme le nommait les gens du pays de Caux. Cette horrible créature venait apparemment de Scandinavie, et hantait tout le littoral de Dieppe au Havre. Il suivait les promeneurs de jour comme de nuit et semblait ne jamais dormir. Les pêcheurs devaient veiller la nuit sur leurs filets, de peur de se les faire déchirer par le nain rouge. Il lui arrivait souvent, même en plein jour, de poursuivre des enfants pour leur lancer des pierres, les blessant parfois gravement. Certains eurent des yeux crevés par des jets de pierres, et d’autres restèrent boiteux. Une fois, des enfants qui s’étaient moqué de lui, furent poursuivis une journée entière et reçurent ses pierres. Il ne fallait pas rire de ce gnome diabolique. Un jour il suivit des pêcheurs de Dieppe qui marchaient sur la route, et ceux-ci, croyant que c’était un enfant, s’amusèrent de ses cabrioles, de ses danses et ne se méfièrent pas de lui. À un moment, sans qu’il n’ait été provoqué, il prit soudain un des hommes à bras-le-corps, et le lança dans le ciel jusque dans la mer, comme s’il eut été un jouet, et s’enfuit en ricanant.

Mais revenons enfin de notre côté de l’Atlantique, car c’est assurément une de ces créatures maléfiques venue du vieux continent qui hanta notre Île-aux-Grues. Un gnome tout à fait semblable, sauf parait-il qu’il n’avait pas de tête. Je ne saurais l’expliquer, mais plusieurs des créatures maléfiques québécoises n’ont pas de tête…peut-être y a-t-il un rapport avec nos politiciens…mais ne nous écartons pas du sujet. Donc, ce gnome sans tête ne sortait que la nuit et ne parlait jamais à personne. Peut-être ne parlait-il que le Breton? Il marchait d’un pas léger et ne suivait jamais les routes. Il passait à travers champs, et ne laissait aucune trace, même sur la neige fraîche. Il hanta l’Île-aux-Grues pendant une trentaine d’années, terrorisant ses habitants, mais surtout ses victimes préférées, les ivrognes et les batteurs de femmes.

Louis LeBel, un homme grand et fort, revenait un soir à pieds d’une soirée plutôt bien arrosée, lorsqu’il vit le gnome sans tête se ruer sur lui. LeBel étant bagarreur et n’ayant peur de rien, serra les poings et se défendit de son mieux, mais ses coups ne portaient pas, et recevant une vraie raclée, il dut se jeter au bas d’une colline de cinquante pieds pour s’en débarrasser. Le lendemain, les villageois inquiets cherchèrent Louis LeBel, et finalement, le trouvèrent là, inconscient, au bas de la côte. Suite à ces événements, il appert que même le curé incrédule fut beaucoup plus réservé et poli lorsqu’il évoquait le farfadet, et Louis LeBel devint beaucoup moins vantard, portant maintenant les traces de ce combat sur son visage. On pense que le gnome serait finalement mort lors de l’épidémie de choléra qui ravagea le Canada en 1932, mais qui sait? Il hante peut-être encore l’île-aux-Grues?

Je vois vos mines amusées! Vous pensez que ces histoires ne sont que des légendes? Des histoires de bonnes femmes? Détrompez-vous…tout ce que j’ai raconté est vrai! Même que je peux vous affirmer, que ces méchants gnomes qui lancent des pierres et terrorisent les pêcheurs, ne hantent pas que les rivages marins, et en voici la preuve. C’était durant l’été, à-peu-près en 1977. J’avais donc environ 10 ans, et nous étions sur la rive nord du lac Massawipi dans les Cantons de l’Est. Nous voilà donc trois ou quatre gamins, dont mon frère Marc, qui pourra sans problème corroborer mes dires. La joyeuse bande était partie en expédition par une belle journée d’été. En allant vers l’Ouest, les rives du lac à un endroit s’élèvent en de hautes falaises, et à cette époque, il n’y avait là aucun chalet.

En arrivant près d’une de ces falaises, j’aperçus sur les branches d’un sapin un gros corbeau noir. J’avais une fronde et j’entrepris de m’approcher furtivement, afin de lui tirer une pierre. Je le touchai en pleine poitrine, mais bien sûr, ma petite fronde ne lui causa aucun désagrément, sinon qu’il s’envola en protestant de ses croassements. La pierre, ayant rebondit, tomba dans l’eau au pied de la falaise. Le lac était alors comme un miroir, et non loin de là, un pêcheur en chaloupe vit l’éclaboussure de la pierre et la prit pour un poisson qui saute. Il fit ni une ni deux, mit rapidement son moteur en route et arriva au pied du surplomb pour lancer sa ligne. Bien sûr, nous nous étions cachés à son approche, et trouvant la chose bien drôle, nous commençâmes à lancer des petites pierres de chaque côté de lui. Aussitôt qu’il voyait une éclaboussure, il ramait vers celle-ci pour y lancer sa ligne, et bien sûr, nous lancions alors nos pierres de l’autre côté le plus loin possible, faisant aller et revenir le pauvre pêcheur, persuadé qu’il poursuivait un banc de truites comme il n’en avait jamais vu.

Au bout d’un moment nous nous lassâmes de rire du pauvre homme, et nous commençâmes à gravir la forêt pour retourner à d’autres jeux. Je vis alors une grosse pierre ronde enfouie partiellement dans la terre, et ayant une idée de génie, j’entrepris de la déloger. Mon frère, qui est assurément beaucoup plus intelligent que moi, et voyant le plan stupide qui se dessinait dans mon esprit tordu, tenta de m’en dissuader. Mais aidé d’un des autres compagnons pas plus brillant que moi, nous dégageâmes la pierre de son logement. Elle devait faire dans les 25 kilos pour le moins, et malgré les protestations de mon frère, je la fis rouler, mais bien sûr en visant loin de l’endroit où le pêcheur lançait toujours frénétiquement sa ligne, pris qu’il était d’une motivation sans borne.

Voyant la lourde pierre dévaler, je tournai vers mes complices un regard triomphant, mais ne vis alors que leurs dos qui gravissait la pente à toute vitesse! Ce qui devait arriver arriva, et la pierre ricochant sur quelques arbres, tourna et tourna si bien qu’elle se dirigea directement vers le pêcheur. Le regard horrifié, je restais seul figé sur place, et suivis la funeste pierre des yeux sans émettre un son. Par quel miracle le pauvre homme fut-il sauvé, je ne saurais le dire, mais toujours est-il que la pierre tomba à ce qui me paru d’en haut, quelques centimètres de son embarcation.

Eut-il conscience que c’était une pierre énorme qui venait de le frôler et de l’éclabousser? Peut-être, voyant la légèreté de son engin de pêche face à une telle truite, crut-il qu’il était mieux de foutre le camp? Toujours est-il qu’il ne demanda pas son reste, qu’il mit en marche son moteur et se sauva à toute vitesse! Vit-il nos petites silhouettes se sauver à toutes jambes? Je ne pense pas. Une chose est certaine, j’ai assurément eu aussi peur que lui, et peut-être plus.

Quel rapport me demandez-vous avec les méchants gnomes des rivages? Et bien, vous aurez compris que cette fois-ci, le méchant gnome des rivages qui lance des pierres et terrorise les pêcheurs, c’était moi, et qu’en plus, fidèle au modèle québécois, je n’avais pas…mais vraiment pas…de tête!

Alain Lavoie