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Seychelles, paradis sur mer

En moins de six milles, on passe de quelques milliers à une quarantaine de mètres de profondeur. On est « monté »  sur l’immense plateau de quelque 400 kilomètres carrés qui forme une bonne partie du territoire des Seychelles. Quelques percées de terre, parmi ses quelque 30 îles et 60 îlots sont situées sur d’autres plateaux aux dimensions réduites.

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Sitôt sur le plateau, on perçoit dans la pénombre la petite île Saint-Denis sur tribord. Elle semble vierge. Et pourtant, la carte y dessine une piste d’atterrissage. À deux heures du matin, malgré un ciel dégagé, on ne voit aucun bâtiment. On s’aide avec le moteur pour être certain de rentrer tôt en après-midi dans le port de Victoria. Quarante-huit milles et nous y serons. Position de Victoria, la capitale sur l’île de Mahé : 04*37’48 Sud, 055*27’34 Est. Six cents milles au nord de Madagascar et mille milles à l’est de la Tanzanie. À l’approche, on doit s’arrêter à l’extérieur du port et mouiller entre des rochers pour que les autorités administratives viennent nous rendre visite et nous souhaiter la bienvenue aux Seychelles. Enfin, un endroit où ce n’est pas trop compliqué ni trop long. On nous dit que si l’on veut, on peut rester ici pour la nuit et n’entrer dans le port que demain. Non, merci! D’abord, une houle rend la situation inconfortable et les roches toutes proches n’inspirent pas confiance. On entre. À droite, une grosse usine, puis des dizaines de petits bateaux de pêche. Tout droit et à gauche, une vingtaine de voiliers. Le port est petit et les espaces restreints.

De plus, le fond est mauvais. L’ancre qui mord difficilement risque de décrocher au moindre coup de vent, d’autant plus qu’il faut restreindre la longueur de chaîne pour l’évitage. Mais enfin, nous sommes rendus. Quel décor! Devant nos yeux, cinq sommets verdoyants dont le plus haut se termine en escarpement. Dans les pentes, de jolies maisons sont plantées ici et là, abritées par de grands feuillus et conifères. Il y a longtemps qu’on n’a pas pu s’extasier devant une telle parure.

On passe une première nuit à dormir profondément sans inquiétude. Petit déjeuner aux crêpes et sirop d’érable. Eh oui! On en a encore, car chaque bagage de retour annuel de Denise au Canada en contient une boîte ou deux.

Mahé

On met pieds à terre après 15 jours de mer. Les rues sont propres, asphaltées et sans nids-de-poule, les trottoirs larges et dégagés, ombragés par de grands arbres indigènes, les maisons stylisées et colorées et des poubelles propres sont disponibles ici et là. Les automobilistes, qui soupçonnent qu’on veut traverser la rue, s’arrêtent pour nous laisser passer. Les femmes se promènent en jupes courtes, shorts urbains, camisoles. On voit des jambes, des dos, des épaules. Beaucoup de belles grandes filles élancées couleur chocolat au lait. Jean-Louis dit qu’il sent son cœur rajeunir alors que Denise se retrouve un peu plus comme chez elle. On vient à peine de quitter l’Inde. Quel contraste! Ça nous fait penser aux films dans lesquels on transporte des gens dans un autre temps. Ici, on parle anglais, un peu français et surtout créole. On va se procurer notre permis de séjour d’un mois qu’au besoin on pourra facilement renouveler pour deux autres mois. La radio nous envahit de musique genre reggae, gospel et country. On se sent bien. Rencontre au yacht club pour y dîner en compagnie de nos amis Paul et Rachel. Au menu, comme il est un peu tard, il ne reste plus que du poulet au curry. Petit retour momentané en Inde. Mais c’est bon. On se rend ensuite au marché, planté au centre-ville. On y trouve de tout pour ce qui est des légumes. Et les boucheries offrent du porc! On en prend un beau gros morceau qu’on fera cuire au four. Quel délice quand on en a été si longtemps privé! On constate rapidement que tout est beaucoup plus cher qu’en Inde. Il n’y a pas vraiment de comparaison possible. On nous dit même qu’au cours des huit derniers mois, tout a doublé de prix sur l’île, que plusieurs Seychellois tirent maintenant le diable par la queue.

Comme tout ne peut être perpétuellement que félicité, notre hors-bord rend l’âme et nous oblige à nous en procurer un autre. On n’a plus à nous offrir qu’un moteur 5 forces à deux temps et à arbre long au double du prix que nous aurions payé en Malaisie. Mais consolons-nous, après quelques jours de démarches et de formulaires à remplir, on récupérera les taxes pour un équivalent de 220 $ CA. Il nous faut modifier le tableau arrière du dinghy pour surélever l’hélice. On se dépêche également à le rendre moins attrayant en le maquillant, car un beau moteur neuf attire facilement les gens malhonnêtes.

On explore l’île de Mahé en autobus. Sept roupies le déplacement (60 ¢), peu importe la distance. Les panneaux indicateurs affichent de jolis noms comme Port Fleuri, Plaisance, Belle Eau, Sans Soucis. On se rend d’abord à Beau Vallon, sur le versant opposé, une belle grande plage bordée d’arbres hauts au fond d’une baie en quart de lune. Les hôtels n’ont pas encore envahi la place. Pas de touristes, que quelques familles et couples de l’île. On y marche pieds nus, on se trouve un petit coin à l’ombre. On a oublié nos livres au bateau… On aime tellement flâner dans de tels lieux avec un bon roman à dévorer. Le lendemain, c’est à Port Launay qu’on s’arrête. Une autre belle grande plage au fond d’une baie, bordée de grosses pierres rondes et d’arbres majestueux. Paul et Rachel* y sont à l’ancre sur leur bateau Lynn Rival. On se procure boissons et biscuits au seul dépanneur du coin. On observe et questionne un homme qui fait rôtir un gros poisson, un job, sur charbon de bois. Dans quelques heures, ce poisson qu’il a pêché dans 40 mètres de fond fera le délice de ceux qui voudront bien en acheter une assiettée. Nous ne pouvons malheureusement attendre aussi longtemps.

Arrêt au guichet automatique. Jean-Louis dépose son sac à dos par terre. Le guichet n’accepte pas la carte. Nous entrons dans la banque. Le temps au préposé de faire la transaction et le sac à dos oublié au guichet extérieur s’est volatilisé. L’objet le plus précieux qu’il contenait était le chapeau Tilley de Jean-Louis. Il avait sept années de navigation quand même!

La veille de Pâques, avec un autre couple, nous sommes invités sur un bateau canadien que nous ne nommerons pas. On apporte une bonne bouteille de vin blanc bien frais. La bouteille est ouverte et on nous en offre une coupe coupée moitié eau pétillante. Ensuite, « elle » sort un vin rouge avec trois verres. Elle se verse un verre de même qu’à son mari et ne nous en offre pas. Nous parlons de choses et d’autres, elle remplit leurs verres à nouveau et ne nous en offre toujours pas… On n’a pas compris. Pourtant, quand ils sont venus à bord d’Alero, on n’avait pas compté les bières… La belle chose de notre visite : on avait déjà rêvé d’un bateau comme le leur. L’organisation du cockpit où on ne peut même pas asseoir quatre personnes sans avoir à se déplacer pour se voir et discuter a vite effacé sans regret notre vieux rêve. En longue croisière dans des climats chauds, un bon et confortable cockpit est essentiel. On y vit, on y mange, on y dort même. Cette visite nous aura fait apprécier encore plus notre Endeavour 37 avec ses hiloires profondes qui permettent un bon appui du dos et qui ne cassent pas la colonne vertébrale.

Paradis?

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On est au yacht club quand une pluie diluvienne s’abat sur la baie. On attend deux heures avant de pouvoir regagner Alero. Horreur! La coque sur trente centimètres de haut à partir de la ligne de flottaison est littéralement couverte de goudron. On essaie avec les produits du bord de faire disparaître le dégât. Rien n’y fait. Un bateau voisin a pas mal réussi avec de l’huile végétale, ce que nous faisons. Après plusieurs heures de dur labeur, il reste encore de nombreuses marques. Le goudron s’est imprégné dans la coque. Paradis? Paradis d’huile! On nous incite à ne pas envoyer d’eaux usées par-dessus bord alors qu’on ferme les yeux devant les gros navires-poissonniers qui font leur vidange d’huile dans le port! De plus, une petite rivière déverse son eau noire nauséabonde dans la baie. On est fâchés, très fâchés! On va aller se plaindre aux autorités et dénoncer le navire fautif! Un habitué des Seychelles nous avise : « Si vous voulez avoir une extension de visa, vous êtes mieux de ne rien faire. »  On verra petit à petit que les administrateurs de l’île ne semblent pas uniquement au service de leurs citoyens ni des plaisanciers. Le seul journal qui ose faire des dénonciations est imprimé en dehors des Seychelles. On accorde aux Arabes d’y construire un bordel de luxe accessible aux Arabes uniquement. La justification : les Seychelloises n’y « travailleront »  pas. Ledit journal accuse régulièrement les autorités d’être en train de donner les Seychelles aux pays du Golfe et aux Chinois. Qu’en est-il vraiment? Toujours est-il qu’on endurera notre mal sans mot dire.

Praslin, la digue

Ça fait maintenant plus de deux semaines qu’on est là. Il est temps d’aller visiter d’autres îles. On lève l’ancre, on essaie de lever l’ancre. La chaîne est décorée de milliers de coquillages, chaque maillon ayant les siens. Même l’ancre, qui avait peu mordu le fond, en était couverte de même que le bloc de ciment qu’elle retenait dans sa pelle. On a besoin d’un marteau pour dégager la chaîne et lui permettre de filer dans le barbotin du guindeau. Sitôt sortis du port, on est à nouveau au paradis sur l’eau. On trace un sillage de quelque 24 milles pour entrer dans la baie de Lazio, sur l’île de Praslin. On est sans doute dans l’un des plus beaux endroits des Seychelles. Tout le monde le sait et c’est sans doute pour ça que six voiliers y mouillent déjà, dont un impressionnant catamaran d’une trentaine de mètres. Sable fin, cocotiers, belles grosses roches rondes. L’eau y est claire comme le cristal. Palmes, masque, tuba et nous allons jouer avec les superbes bancs de poissons multicolores qui, comme nous, se balancent au gré du ressac. Aux premiers mouvements, on craint de se faire précipiter contre les rochers, mais on s’aperçoit vite que nous imitons le bouchon de liège sur la vague : l’onde passe et forme une houle, mais la masse d’eau demeure quasi stationnaire.

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On plonge également autour du bateau et on comprend alors pourquoi, malgré le moteur qui tournait à vitesse de croisière, Alero avançait à peine lorsqu’on est sorti du port de Victoria quelques jours plus tôt. L’hélice est couverte de coquillages. Ça n’en prend pas beaucoup pour perturber la poussée de l’eau sur les pales. La première nuit, ça sentait fortement la marée basse, le varech dans notre cabine avant, résultant de la chaîne poissée dans son puits. Quelques journées à ne rien faire d’autre que se baigner, plonger, lire un bon roman, regarder les autres baigneurs, les marcheurs sur la plage et on se déplace un peu plus loin. Près du nouveau mouillage, un îlot cache sous sa verdure l’unique petit hôtel qui couvre sa surface. Arrive un gros nuage chargé de pluie. On en profite pour remplir le réservoir d’eau douce, opération très facile sur Alero. L’ouverture pour le remplissage est située sur le passavant, à mi-parcours. On laisse les premières minutes de l’ondée rincer le pont, puis on enlève le bouchon. Avec une guenille propre on forme un petit barrage qui conduit l’eau qui s’y accumule dans le réservoir. L’averse chaude rince également nos serviettes de plage gorgées de sel. C’est également une belle occasion de prendre une bonne douche. Mais il faut s’assurer de se désavonner avant la fin de l’ondée sinon c’est un retour obligatoire à l’eau salée. On nous aborde en nous réclamant 250 roupies. Et pourquoi? « Vous êtes ancrés dans un parc. » « Ah bon! »  « On aurait pu nous aviser, peut-être… »  « Et il y en a plusieurs comme ça autour des îles? »  On comprend pourquoi notre amie Karine a mouillé un peu plus loin, juste à la limite de la ligne virtuelle qui délimite le parc. On met pieds à terre pour se rendre au fameux parc de la Vallée de Mai. Les prix sur cette île sont inversement proportionnels à sa grandeur : 20 $. Pour une course moyenne en taxi jusqu’à l’entrée du parc naturel : 35 $ par personne pour entrer! Évidemment, personne ne rebroussera chemin malgré cet obstacle. Le parc est unique au monde avec ses palmiers géants qui produisent les cocos de mer plus communément appelés coco-fesses. Quand on examine le produit, on se demande si l’homme et la femme ne descendent pas de ces palmiers plutôt que du singe. On revient en bus.

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Îlet Saint-Pierre. Vous avez sans doute déjà vu. Son image annonce les Seychelles. Toute menue. Des roches et quelques palmiers, c’est tout. Mais c’est beau, très beau. Là aussi, on jouera avec plein de poissons qui trouvent leur pitance dans les crevasses. On ne peut rester là pour la nuit faute de protection. On va mouiller à l’île voisine dans la baie Sainte-Anne où un gros traversier, arrivé après nous, viendra effleurer notre coque tout au long de la nuit.

Tout en face, il y a l’île de la Digue. On mouille au Port de la Passe. L’eau y est encore plus belle, plus claire qu’à l’île de Praslin. On penserait pouvoir caresser de la main les ondulations du sable sises à huit mètres sous la quille. Sur l’île, très peu d’autos, surtout des bicyclettes circulant sur des routes étroites bordées par la mer d’un côté et la falaise de l’autre. Jolies maisons, maisonnettes, petits hôtels colorés. Il faut faire deux kilomètres pour trouver une épicerie. On marche pendant deux heures. On a un plan de l’île qui nous permettra de la traverser en diagonale pour le retour. On se sent tellement bien dans un si paisible décor. Et les jours s’écoulent ainsi, sans trop de manœuvres, sans soucis du lendemain, les heures s’effilant sans qu’on s’en rende trop compte. On ne sait plus trop quel jour nous sommes ni la date du calendrier… La vie est belle!

Mais on entend de plus en plus de rumeurs voulant que les pirates somaliens s’approchent des Seychelles. Un bateau-mère aurait été vu à 50 milles à peine de la capitale. On rebrousse chemin vers Mahé d’où on apprend que deux voiliers partis de Victoria vers Madagascar ont été abordés par les pirates. Les neuf équipiers sont maintenant leurs prisonniers. On prévoyait partir dans les prochains dix jours dans cette même direction. Qu’en sera-t-il?